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Le quatrième panel de la Conférence régionale  « Perspectives panafricaines pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » (9 et 10 octobre 2019) a porté sur les défis actuels et futurs pour la diversité des expressions culturelles. Il réunissait Samuel Sangwa (CISAC), Ivana Otasevic (Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles), Édith Katiji (Syndicat des musiciens du Zimbabwe), Luc Yatchokeu (REPAC).

Il a d’abord rappelé le rôle des sociétés de gestion de droits d’auteur, qui permettent de rémunérer et de reconnaitre les créateurs, puis a présenté la CISAC et son action en Afrique. Avec 37 sociétés de droits d’auteurs dans 31 pays, la CISAC est présente partout sur le continent, de l’Algérie à l’Afrique du Sud en passant par le Togo. La CISAC produit chaque année un rapport des collectes au niveau mondial. En 2017, sur 9 milliards d’euros collectés à l’échelle mondiale, la part de l’Afrique ne représentait que 75 millions, soit 0,8% du total. Samuel Sangwa a déploré le fait que les créateurs africains ne sont pas rémunérés à la hauteur des exploitations de leurs œuvres. Il a énuméré les défis majeurs à la croissance des collectes en Afrique :

  1. La résistance des usagers : méconnaissance du droit d’auteur, refus délibéré du principe du paiement de la redevance ;
  2. L’efficacité opérationnelle des organisations de gestion collective : concession des licences aux usagers, maillage du territoire, gestion des droits exploitation numérique ;
  3. Les cadres législatifs désuets, inadaptés ou inadéquats

Il a aussi précisé que seuls huit pays africains parviennent aujourd’hui à collecter la taxe sur la copie privée. Samuel Sangwa a ensuite énuméré les défis et les campagnes prioritaires pour la CISAC :

  1. Le transfert de la valeur sur les plateformes ;
  2. Le droit de suite pour les créateurs d’œuvres artistiques (arts visuels et métiers d’art) ;
  3. Le droit à une rémunération équitable pour les auteurs d’œuvres audiovisuelles

Il a présenté de label « Copyright Friendly », lancé au Cap-Vert, qui pourra être décerné aux festivals, organisations, événements respectueux du droit d’auteur. Enfin, il a fait valoir que la notion de droit d’auteur a toujours fait partie de la culture africaine et il a appelé au respect des droits de créateurs, en Afrique comme ailleurs dans le monde.

Présentation de Mr Sangwa

  • Dans une deuxième intervention, Ivana Otasevic, coordinatrice de la Chaire Unesco sur la diversité des expressions culturelles, a présenté le Guide sur les clauses culturelles dans les accords de commerce élaboré par Véronique Guèvremont (titulaire de la Chaire) et Ivan Bernier (professeur émérite de la faculté de droit de l’Université Laval).

Le guide de la Chaire répond à plusieurs objectifs :

  1. Sensibiliser les États aux implications possibles des négociations commerciales pour le secteur de la culture ;
  2. Aider les États à développer leurs capacités afin qu’ils puissent choisir les clauses culturelles appropriées pour préserver leur droit souverain d’intervenir en faveur de la culture ;
  3. Présenter les meilleures pratiques qui ont été développées par certains États au cours des 15 dernières années ;
  4. Inspirer de nouvelles initiatives de protection et de promotion de la diversité culturelle dans les accords de commerce (en particulier en matière de commerce numérique).

Ce guide offre une approche basée sur la pratique des États. Il se fonde sur une étude comparative de 99 accords de libre-échange conclus depuis l’adoption de la Convention de 2005. La Chaire a identifié les clauses culturelles les plus pertinentes se trouvant dans ces accords puis a formulé des recommandations. Le guide est structuré en quatre étapes. Il invite en premier lieu les États (et les organisations de la société civile qui utilisent le guide pour faire pression sur leurs États) à bien connaître leur propre secteur culturel, à comprendre les mécanismes du libre-échange et leur impact potentiel sur le secteur de la culture, et à développer une connaissance des clauses culturelles et des instruments commerciaux existants. Dans un deuxième temps, le guide fait des recommandations concernant la préparation à la négociation d’un nouvel accord de commerce comportant des clauses culturelles. Dans un troisième temps, il donne des indications sur les principaux chapitres de l’accord pour l’incorporation des clauses culturelles. Il souligne l’importance de définir exactement ce que l’on souhaite protéger et de porter une attention particulière au commerce électronique. La dernière étape du guide concerne le suivi de l’accord de libre-échange négocié et la mise en œuvre des clauses culturelles.

Présentation de Mme Otasevic

  • Édith Katiji, présidente du Syndicat des musiciens du Zimbabwe, a ensuite abordé un troisième défi majeur pour la diversité des expressions culturelles : celui de la participation et des conditions des femmes dans le secteur de la culture.

Trois choses principales affectent les femmes dans les sphères culturelles :

  1. Les rôles définis, imposés et attendus des femmes ;
  2. Un milieu de travail souvent dangereux pour elles ;
  3. Leur exclusion de la participation à l’économie de la culture.

Édith Katiji a été membre d’un groupe de musique entièrement composé de femmes qui s’est produit partout au Zimbabwe. Elle a constaté beaucoup  de préjugés autour de leurs performances. Certains s’attendaient à ce qu’elles jouent un type de musique et pas un autre, réservé aux hommes, d’autres avaient des attentes similaires concernant les paroles. Il y avait aussi des préjugés liés à leur présence sur scène, beaucoup s’attendaient à les voir danser d’une certaine façon jugée « féminine ».

Édith Katiji a ensuite évoqué les nombreux cas de femmes confrontées à des abus de toutes sortes – émotionnels, physiques, sexuels – sur leur lieu de travail. Elle a déploré les cas de discrimination, d’attitudes sexistes et de mépris général qui découragent les femmes de continuer à travailler dans le secteur culturel. Les femmes sont facilement victimes de comportements sexistes voire d’exploitation sexuelle. Des faveurs sexuelles peuvent être exigées des artistes et créatrices en échange d’une promotion ou d’une exposition de leur travail. Les industries de la culture et de la création sont le plus souvent dirigées par des hommes et la plupart des décisions sont donc exclusivement prises par eux. Cela crée une situation où les femmes sont exclues de toute décision avantageuse.

Par ailleurs, une grande part de l’exclusion des femmes ne se produit pas au grand jour. Les hommes peuvent décider que les interprètes féminines n’ont pas leur place dans tel ou tel événement. Dans d’autres cas, ils considèrent que le type de public attendu ne convient pas à une interprète féminine. Certains promoteurs masculins peuvent aussi juger que le type de musique joué par une femme est inadapté à certains publics. Face à ces blocages, les femmes se tournent souvent vers des organisations privées pour se produire. Mais il n’y a que peu d’attention publique accordée aux événements privés et les femmes sont donc le plus souvent exclues de l’espace médiatique. Sans cette couverture médiatique, elles sont moins visibles et gagnent moins. Certaines utilisent les médias sociaux pour se faire connaître mais cela n’a pas le même impact car les médias traditionnels sont encore dominants sur le continent (au Zimbabwe, c’est la radio qui est le premier canal de diffusion).

Édith Katiji a conclu sa présentation en appelant les sociétés africaines à revoir leur histoire et à se pencher sur la façon de parvenir à un équilibre entre les hommes et les femmes, dans le secteur culturel et dans toutes les sphères de la société.

Présentation de Mme Katiji (en anglais)

  • Dernier intervenant du panel, Luc Yatchokeu, coordinateur du Regroupement des Professionnels des Arts et Culture d’Afrique Centrale (REPAC), a présenté le projet Art Connect Africa.

Plateforme de coopération et d’échanges culturels, Art Connect Africa (www.artconnectafrica.com) a été conçue pour encourager et développer les relations culturelles entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. À l’origine du projet, il y a une volonté des acteurs culturels d’Afrique du Nord et de ceux d’Afrique subsaharienne de se rapprocher et de renforcer les échanges entre les deux régions. Les acteurs culturels ont le souci de présenter à travers les arts une Afrique unie, qui apparaissait il y a quelques années comme deux continents différents.

La plateforme met en relation plusieurs acteurs différents : artistes, professionnels, festivals, organisations professionnelles, lieux d’expression culturelle, médias, institutions culturelles. Elle concerne toutes les disciplines artistiques : musique, arts de la scène, arts visuels, sculpture, littérature, cinéma, architecture. Luc Yatchokeu est revenu sur la façon dont le projet a été élaboré avec, d’une part, la confection d’une plateforme numérique (site internet et application), et, d’autre part, la mise sur pied et l’animation d’un programme panafricain pour accompagner les initiatives de coopération et d’échange.

Les résultats attendus sont divers : construction d’une communauté artistique, partage d’informations sur les collaborations en cours et sur les opportunités, appui aux projets, production de statistiques, renforcement de la coopération et des échanges, exploration de nouveaux marchés.

Présentation de Mr Yatchokeu

Avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), du ministère de la Culture et des Communications du gouvernement du Québec, de la Coalition française pour la diversité culturelle, de la Coalition togolaise pour la diversité culturelle, de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles (Canada), du gouvernement du Togo, du gouvernement du Canada, de la Délégation générale du Québec à Dakar, et de la Coalition autrichienne pour la diversité culturelle.

 

 

    Faire face aux grands défis pour la diversité des expressions culturelles

    Article
    FICDC
    28 novembre 2019
    Droit d'auteur, culture et libre-échange, place des femmes, coopération culturelle régionale
    Photo : Luc Yatchokeu (REPAC), Brenda Uphopho, Violet Maila, Samuel Sangwa (CISAC), Olivier Maloba, Édith Katiji (Syndicat des musiciens du Zimbabwe), Michel Saba