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Le 22 avril dernier, l’UNESCO organisait la première rencontre virtuelle des ministres de la Culture. La rencontre a duré plus de sept heures et a donné la parole à 130 ministres de tous les continents. L’équipe de la FICDC a assisté à cette rencontre qui lui a permis de bonifier son suivi des mesures en appui au secteur culturel, mais aussi d’identifier un certain nombre d’enjeux globaux et d’opportunités pour la culture en temps de pandémie.

  1. La reconnaissance de l’importance de la culture

La plupart des ministres ont souligné la contribution inestimable de la culture pour aider la population à traverser la crise. Plusieurs d’entre eux ont illustré la fonction sociale de la culture ou associé la culture à un droit:

  • La culture et l’art sont des outils puissants de lutte qui peuvent nous aider à surmonter le défi commun (Jordanie)
  • Le droit à la culture n’est pas un luxe, c’est un pilier pour nos économies et pour la réalisation des Objectifs de développement durable (Allemagne)
  • Nous expérimentons la thérapie par l’art, le livre, le sourire (Arménie)
  • La culture est le socle de la société (Pays-Bas)
  • La culture est un processus d’humanisation, dotée d’un pouvoir réparateur. La pandémie effraie, la culture saura nous sauver, en attendant un vaccin (Argentine)
  • La culture est un moyen de communication et de protection contre le stress. Il faut mettre en place des politiques publiques transversales pour faire de la culture un droit humain (Panama)
  • La culture est une forme de résistance (Bahreïn)
  • La culture est un bien commun, un droit pour les citoyens. Elle a un rôle de cohésion sociale. La crise démontre que la culture peut être une bouée de sauvetage. On doit reconnaître sa contribution au bien-être physique et mental (Espagne)

Plusieurs ministres ont insisté sur la contribution de la culture au développement durable, et même aux objectifs à l’horizon 2030 (Grèce, Liban, Espagne, Costa Rica, Allemagne), d’autres, comme Cuba ou l’Azerbaïdjan, perçoivent à travers cette crise une opportunité de renaissance de la création artistique et une large extension des pratiques artistiques et culturelles dans la société grâce à la diffusion et à la communication numérique.

  1. Une mobilisation importante pour la culture

Malgré les inégalités entre les divers pays, les appuis au secteur culturel sont très importants. Les mesures qui reviennent le plus souvent sont l’ajustement des contributions et des cotisations, le report des obligations (cotisations sociales, impôts), l’octroi de subventions salariales et de prêts, la réalisation de sondages et d’analyses d’impact, la mise en place de fonds d’urgence et même l’assistance alimentaire.

Le Mali voit dans la crise actuelle, malgré ses conséquences désastreuses, une opportunité d’aligner les politiques culturelles des pays africains sur les objectifs de la Charte de la renaissance culturelle africaine : « toute politique culturelle africaine doit nécessairement permettre aux peuples de s’épanouir pour assumer une responsabilité accrue dans leur propre développement ». D’autres pays, comme la Jamaïque, essaient d’encourager la transition de leur économie informelle vers l’économie formelle ce qui permettrait de mieux protéger les artistes et créateurs. Ailleurs, le mécénat apparaît comme une source de revenus réaliste pour le secteur culturel.

Parmi les nombreuses mesures énumérées par le Pérou, certaines mesures ciblent les peuples autochtones, en particulier ceux de l’Amazonie, pour les isoler de la pandémie tout en leur donnant accès à la culture. Les recommandations produites ont été traduites en vingt langues, une mesure similaire à celle mise en place au Mexique où les manuels sanitaires ont été traduits en soixante langues.

Une grande partie du secteur culturel, en particulier les sites patrimoniaux, les festivals et les musées, dépend du tourisme, qui a un impact majeur sur la fréquentation et l’affluence du public. Si la crise affecte le secteur culturel même dans les pays où aucun cas n’a été déclaré, comme le Lesotho ou les Îles Cook, c’est parce que le tourisme a été complètement foudroyé par la pandémie. Plusieurs ministres ont d’ailleurs davantage insisté sur ce secteur que sur le secteur culturel. Certains pays veulent miser sur le tourisme national, mais cela n’est pas à la portée de tous. D’autres, comme le Kazakhstan, où l’agence de tourisme nationale organise des visites virtuelles du pays, misent sur le numérique pour demeurer une destination attrayante.

  1. Vers une explosion des plateformes et de l’offre en ligne?

Il semble que dans toutes les régions du monde, des dizaines de plateformes sont en train de voir le jour grâce à l’appui des gouvernements et des institutions publiques. De nombreuses mesures ont ainsi été mises en place pour donner virtuellement accès aux musées, bibliothèques, sites patrimoniaux et galeries tandis que d’autres plateformes permettent d’accéder aux expressions culturelles.

En Azerbaïdjan, par exemple, les mesures adoptées ont permis de réorienter 80% des activités culturelles vers l’Internet, y compris la diffusion sur les médias sociaux. Après la crise, l’un des défis sera de faire en sorte que la culture ne soit pas confinée à la sphère virtuelle. Pour la ministre du Bahreïn, il faut saisir l’opportunité pour promouvoir la réalité virtuelle, les découvertes archéologiques, l’accès au patrimoine immatériel et la musique en ligne.

  1. La pandémie risque d’accroître les inégalités mondiales

Audrey Azoulay, la directrice générale de l’UNESCO, l’a souligné en tout début de rencontre : les inégalités, déjà importantes, risquent de se creuser encore davantage à la faveur de la pandémie.

La ministre de la Dominique a indiqué que son pays se remet à peine des conséquences de l’ouragan Maria qui a provoqué une chute de 226% du PIB. D’autres pays, comme le Mozambique, qui a été frappé par deux cyclone l’an dernier, ou encore le Lesotho, aimeraient développer une offre de contenus en ligne qui respecte le droit d’auteur, mais auraient besoin de l’aide de partenaires internationaux.

Le besoin vital d’accélérer la transition numérique met en évidence des fractures numériques qui vont aggraver les inégalités entre les pays, mais aussi à l’intérieur des territoires. La ministre chilienne a souligné que plusieurs communautés dans son pays n’ont pas accès à l’Internet et c’est d’ailleurs le cas dans de nombreux pays. Plusieurs autres pays ont fait état d’un déficit de formation et de compétences techniques et des difficultés rencontrées par des groupes plus vulnérables (migrants, autochtones, femmes).

  1. Un appel à la coopération internationale

De nombreux pays ont lancé un appel pour la constitution d’un appui international conséquent. Le ministre soudanais a expliqué que les pays en développement allouent déjà peu de ressource à la culture en temps normal. Actuellement, la lutte contre le virus prend tout l’espace. Le ministre tchadien a évoqué la « concurrence des urgences » dans son pays qui, comme d’autres du Sahel, est rattrapé par les problèmes de terrorisme.

Les réponses ont été moins nombreuses. L’Allemagne se distingue par le développement de partenariats en Afrique et au Moyen-Orient pour des projets culturels et le développement de plateformes numériques par l’Institut Goethe. Sa ministre a ajouté qu’aucun pays n’était seul face à ces défis et que ces approches étaient une source d’apprentissage pour eux. Le ministre de San Marino a proposé, pour sa part, de concrétiser la coopération entre les États en encourageant la circulation des œuvres d’art.

  1. Un appel à faire contribuer les géants du Web

Dans son introduction, Audrey Azoulay a suggéré d’intégrer les plateformes qui diffusent les expressions culturelles via Internet dans les politiques et mécanismes de financement de la culture. Mais assez peu de ministres ont fait référence à ce genre de mesure.

Les ministres du Canada et du Québec ont été les seuls à lancer cet appel aussi clairement. Le ministre canadien veut adopter des mesures pour que l’ensemble des joueurs contribuent aux écosystèmes culturels nationaux. La ministre québécoise souhaite que les entreprises multinationales contribuent au système, en favorisant notamment la découvrabilité des contenus, et que les créateurs retirent une meilleure part des bénéfices.

Les ministres du Liban et de la Belgique ont insisté sur l’importance des droits de propriété intellectuelle et de la juste rémunération des artistes sur les plateformes en ligne.

  1. Quel rôle pour l’UNESCO?

La ministre algérienne a souligné que la culture est devenue l’un des rares espaces de collaboration entre les États et que le rôle de l’UNESCO est de favoriser les échanges, de mettre en place des mécanismes d’entraide internationale et de développer des plateformes numériques pour favoriser l’accès au patrimoine et à la culture.

La ministre des Émirats-Arabes-Unis a proposé de son côté que l’UNESCO élabore un modèle pour la protection de la propriété intellectuelle dans le contexte de la transition numérique.

Enfin d’autres ont appelé l’UNESCO à documenter les impacts de la Covid-19 sur la culture.

Quelles perspectives pour la diversité des expressions culturelles?

Des enjeux très importants ont été soulevés lors de cette longue rencontre et il faut applaudir les efforts de l’UNESCO pour soutenir un espace mondial d’échange et de réflexion.  L’initiative ResiliArt est à ce titre tout à fait pertinente et la FICDC est très heureuse de collaborer avec l’UNESCO pour l’organisation d’un 2e débat qui aura lieu le 14 mai.

Cette discussion fait ressortir au moins deux urgences pour appuyer une relance des activités culturelles qui soit durable, plus équitable, et qui assure une diversité d’expressions. D’abord, celle de repenser la coopération culturelle à un moment où la crise sanitaire exerce une pression sur les ressources déjà ténues dans ce domaine et où les restrictions à la mobilité pourraient durer longtemps. Ensuite, celle de garantir la contribution des géants du Web aux écosystèmes culturels afin de générer de nouvelles sources de revenus et de mise en valeur des expressions culturelles locales.

    La culture en temps de pandémie : un remède dont il faut prendre soin

    Article
    FICDC
    28 avril 2020
    COVID-19, UNESCO
    Photo © UNESCO